Cycles parallèles

Rétrospective João Pedro Rodrigues

Portrait de João Pedro Rodrigues ©Diego SanchezUne silhouette moulée dans une combinaison SM en latex noir qui fuit le cadre par l’encadrement d’une porte d’usine donnant sur une décharge municipale. Comme si Irma Vep, la surréaliste vamp du cinéma muet incarnée par Musidora, s’était infiltrée dans le non moins iconique plan final de La Prisonnière du désert de John Ford où l’on voyait John Wayne disparaître en emportant avec lui le cinéma classique américain. Il s’agit du dernier plan de O fantasma, le premier long-métrage de João Pedro Rodrigues tombé en 2000 sur le cinéma comme une météorite redessinerait la surface de la terre. Vamp, camp, il y transfigurait le cinéma et la cinéphilie, achevant le travail qu’un de ses compatriotes, João César Monteiro, avait esquissé avec Le Bassin de J.W.

Le cinéma portugais est riche. De par son passé comme de par son présent. Aussi riche que méconnu par chez nous. Un cinéma fascinant par sa liberté dans la manière de mener les récits, ne craignant pas les ruptures et les digressions, jouant d’une temporalité qui lui semble propre, spécifiquement (culturellement ?) portugaise, plus proche du conte que du récit cinématographique auquel nous avons été formatés. Le cinéma portugais est riche d’originalité et João Pedro Rodrigues en est un des plus remarquables représentants actuels.

Son cinéma, charnel et métaphorique, profond et d’une beauté plastique incomparable, est envoûtement, une invitation à découvrir un nouveau territoire où le réalisme est source d’un départ de fantastique. Un réalisme hanté. Au-delà du visible. Sensible. Le réalisme incarné de personnages habitant un territoire fantôme. Que l’on suive un éboueur dans ses pérégrinations nocturnes et sexuelles, un père transformiste qui a vécu comme une femme pour mourir comme un homme, une femme enceinte en qui un jeune homme décédé va littéralement se réincarner pour retrouver son amant, un João qui n’est pas celui que l’on croit dans une ville qui n’est plus celle qu’il a connue, ou un ornithologue effectuant son chemin de croix dans une forêt mythologique, chaque film est un voyage vers l’inconnu, chaque nouvelle scène, chaque nouveau plan contenant la promesse d’un nouveau départ de récit. Et comme les personnages sont amenés par le récit à se défaire de leur identité (de genre, mais peut-être aussi humaine pour devenir esprit), il nous faut, spectateurs, nous abandonner à ces récits pour entrevoir les contours mystérieux d’une géographie des passions puissamment iconographique : les passions amoureuses, humaines, physiques, sauvages, tout comme celle du Christ (chaque film offrant un parcours quasi surnaturel) revisitées par un homosexuel athée. Et si l’on pouvait être tenté d’y voir une approche subversive, par ses sujets et la manière frontale d’aborder, d’arborer plutôt, l’homosexualité, son art de mener le récit en toute liberté, hors des sentiers battus, et de nous embarquer dans ses histoires quelle que soit notre sexualité, en fait un exemple de cinéma transgressif des plus jouissifs.

Le cinéma de João Pedro Rodrigues nous emporte et nous confronte à ce que l’on connaît du récit cinématographique courant. Ici, aucune linéarité et pourtant aucune cassure non plus. Nous sommes, spectateurs, comme des marins naviguant à la découverte du nouveau monde. Tendus vers l’inconnu. Attendus par l’inconnu. Et c’est une sensation aussi grisante que rare.

Franck Lubet, Responsable de programmation de La Cinémathèque de Toulouse
Loïc Díaz-Ronda, Co-directeur de Cinespaña

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Le 09 octobre 2022 à 18:30